Occupy Wall Street [Français]

De Liberty Plaza au pont de Brooklyn au commissariat
(1er Octobre 2011)

Introduction

Le 1er october 2011, à New York, une marche en relation avec le mouvement “Occupy Wall Street” est partie de Liberty Plaza et, suivant les rues manhattanites, s’est dirigée vers Brooklyn via le célèbre pont. Tandis que le cortège avait initialement emprunté le passage piéton, après une centaine de mètres il est apparu que la police lui laissait utiliser une des voies routières menant à Brooklyn. De nombreuses personnes ont donc sauté sur la route et l’ont suivie jusqu’au moment où elles ont été bloquées et 700 d’entre elles éventuellement arrêtées. Je suivais la marche pour prendre des photos. Ceci est le témoignage que je peux en faire, comme vu par mes yeux, ressenti par mon coeur, et entendu avec mes propres oreilles.

Préparations

Tandis que l’assemblée générale se déroule à Liberty Plaza, tout le monde se prépare pour la marche, de la police aux journalistes, alors que les futurs manifestants essaient de retrouver leurs amis dans la foule. L’atmosphère est relâchée, et les plaisanteries fusent entre policiers et protestataires.

Policier

Il n’y a pas de message unique provenant du mouvement, qui est apolitique. L’idée générale étant que les personnes sont ici pour exprimer leur mécontentement face aux dirigeants actuels, qu’ils soient politiques ou économiques. Les bannières sont très variées: certaines parlent de l’exécution récente de Troy Davis, d’autres comparent les budgets militaires à ceux de l’éducation ou des programmes sociaux, tandis que la majorité expriment une inquiétude générale quant à leur niveau de vie.

1984: 27 ans de retard mais c'est là

Les seuls messages politiques présents concernent surtout des posters “Ron Paul 2012” et quelques personnes portant des T-shirts rouges du parti Socialiste Américain. Je note qu’en général les gens ayant des messages politiques explicites sont plus âgés que la moyenne de la foule.

Vétérans et partisans de Ron Paul

Le cortège démarre

Le cortège se met en route lentement le long de l’avenue Broadway toujours très encombrée, et qui l’est encore plus avec l’impressionnant déploiement policier, tant à Liberty Plaza que le long de la marche. Des policiers sont en faction à chaque coin de rue, tandis que des scouters suivent la foule afin d’éviter un débordement sur la route.

Escorte policière

A certains endroits il y a tellement de policiers qu’ils avancent roue contre roue. Les manifestants scandent “nous sommes les 99%, et vous aussi”, en invitant les passants et quelques touristes étonnés à les rejoindre.

Roue contre roue

Les gens chantent les différentes chansons qui ont été distribuées avant la marche, sur une feuille de papier contenant aussi des règles générales de comportement ainsi que des conseils légaux en cas d’arrestation.

Marche et chants

Arrivant à Park Row, le cortège se dirige vers l’est et le pont de Brooklyn. La police empêche les voitures de passer. Alors que de nombreux automobilistes ignorent ce qui se passe, d’autres acclament les manifestants.

La police canalise la marche

Sur le pont de Brooklyn

Le cortège arrive finalement au pont de Brooklyn et s’engage sur le passage piéton. Etant donné la largeur du pont, le groupe s’étire et ralentit car les manifestants doivent former un groupe plus compact.

Sur le pont de Brooklyn

La police bloque la partie routière aux marcheurs, les dirigeant vers la partie piétonne/cyclable. Tout le monde suit ses indications.

Police et pont de Brooklyn

Toutefois après environ deux cents mètres, le message que la police laisse les marcheurs utiliser l’une des voies routières passe parmi les manifestants. On commence à sauter le petit muret séparant les deux, en pensant que la police veut éviter des risques de piétinement dûs au rétrécissement de la voie piétonne.

Passage de barrière sur le pont de Brooklyn

La marche continue sur le pont, certains participants s’arrêtent pour mettre leur message en valeur. Nombreux sont ceux qui dénoncent le déficit actuel du pays et ses conséquences sur les décisions du gouvernement.

Le servage ça pue

Certaines bannières sont une référence explicite aux mouvements qui sont apparus en Europe au printemps 2011, avec les “Indignés” (en soi une référence au pamphlet de Stéphane Hessel), qui ont commencé aprés le “Printemps Arabe” de début 2011.

Indignés/Mécontents

Nous arrivons maintenant près du premier grand pilier du pont de Brooklyn. La marche occupe maintenant toute la largeur de la route.

Pancartes et piliers du pont de Brooklyn

Coincés sur le pont

Alors que le cortège est en passe d’atteindre le premier pilier du pont, un nouveau type de filet vient d’apparaître, loin du réseau de câbles qui fait la célébrité du pont, et il est inattendu: les policiers bloquent le chemin vers Brooklyn, tandis qu’ils semblaient marcher au-devant du cortège avant cela. Nous faisons demi-tour pour retourner à Manhattan, mais la police nous bloque là-aussi.

La police bloque la route vers Manhattan

Les marcheurs n’ont aucune idée de ce qui se passe alors que nous sommes de plus en plus compréssés. Un appel est fait pour que tout le monde s’asseoit afin d’éviter des arrestations, mais le cortège est si serré que cela devient impossible. Côté Brooklyn, la police a déjà commencé à les arrestations et se rapproche.

La police se rapproche

Quelqu’un commence à utiliser la méthode de communication de l’Occupation (une personne crie quelque chose, qui est répété en coeur par ses proches voisins, le reste de la foule répercute à nouveau pour montrer qu’elle a compris) depuis la voie piétonne pour nous expliquer ce qui arrive. Les visages commencent à montrer des signes d’inquiétude.

En attente d'information

Pour éviter d’être arrêtés, quelques manifestants escaladent les pylônes métalliques soutenant la voie piétonne. J’ai peur que quelqu’un ne chute et se blesse.

Personnes escaladant

Alors que les arrestations se font maintenant rapidement, nous nous asseyons en attendant des instructions, ne sachant pas ce qui ca se passer, ne sachant pas si nous allons être libérés sur le champ ou gardés en garde à vue au commissariat. A quelques mètres, les policiers viennent de recevoir des cartons de menottes en plastique et les préparent.

En attente d'arrestation

Les gens se lèvent quand c’est leur tour d’être arrêtés. Cinq par cinq, nous sommes amenés à notre “policier d’arrestation”, qui nous fouille pour chercher des armes, regarde dans les sacs, puis nous attache les mains dans le dos.

Discussions avec la police

Tandis que la plupart des pancartes ont été abandonnées, quelques-uns s’agrippent à la leur juste avant d’être arrêtés, même quand le message n’est pas aussi sérieux que les autres.

Chomsky président

La plupart des bannières ont été abandonnées. Certaines sont entassées contre le filet orange de la police. La marche aura été très ordonnée du début à la fin, et le nettoyage en aura sans doute été facilité.

Mais sérieusement, je crois simplement en un futur meilleur

Mes amis et moi sommes arrêtés vers 16h20 (heure officielle). Pour des raisons évidentes, le reste de ce récit ne contient pas d’images.

Du pont de Brooklyn au commissariat

Une fois que nous avons les mains attachées derrière le dos, nous sommes accompagnés au car de la police. “Notre” policier se présente, car nous aurons à le suivre parmi les centaines de personnes qui seront au commissariat où nous allons. Bientôt le bus se dirige vers le premier commissariat, un court chemin depuis le pont de Brooklyn.

Dans le car l’ambiance est bonne: étant donné que tout le monde redoutait d’être arrêté, une fois que c’est arrivé, plus personne n’a peur. Nous plaisantons entre nous et avec les policiers. Le chauffeur de bus fait des blagues et essaie de nous rendre le trajet confortable étant donné les circonstances.

Une fois arrivés au commissariat, on nous annonce qu’étant les seuls dans un bus, tous les fourgons (plus petits, moins confortables) seront prioritaires sur nous. Nous attendons pendant une heure et demie, mais pas sous la pluie, qui a commencé à tomber. A un moment nous entendons un policier parler à ses collègues et faire la remarque que “ils ne seraient pas allés sur la route sans que la police ne les y laisse y aller”. Nous nous sourions en entendant cela.

Sortis du bus et dans la cours du commissariat, nos photos sont prises, individuellement, avec “notre” policier. Au polaroid! Tout le monde sourit, le moral est toujours bon. Nos menottes en plastique sont coupées tandis que nos objets personnels nous sont enlevés et mis dans des envelopes. Nous entendons des applaudissements et des chants venant de l’intérieur. Les policiers commencent à remplir les documents administratifs, nous demandant notre nom et date de naissance à de nombreuses reprises. Au dos de nos photos, la ligne “chef d’accusation” est vide. J’entends un policier demander à un autre “je mets quoi?” “Aucune idée, ils n’ont pas encore décidé”.

Une fois dedans on nous fait rentrer dans une longue cellule étroite, en file indienne, en attendant d’être à nouveau appelés. Cela sert seulement à faire de la place afin que le commissariat ne soit pas rempli de monde. Il y a plus d’une centaine de personnes et la quantité de formulaires à remplir pour chacun d’entre elles est conséquente. Nous arrivons enfin dans la cellule principale, qui contient déjà 75 détenus lorsque j’y rentre, sous des encouragements et des applaudissements nourris.

Les policiers se comportent tous de façon très professionnelle. Un commandant vient avec une fontaine à eau et deux recharges, ainsi que des tasses de papier. Nous auront aussi droit à des sandwiches et des briques de lait, par deux fois dans la soirée. De temps en temps un détenu est appelé de côté afin de parler à son policier au travers de trous. En général pour donner plus d’informations telles que son identité, adresse, et dans le cas de quelques mineurs, le numéro de téléphone des parents.

Parfois des groupes de cinq filles, détenues dans une autre partie du commissariat, passent. Elles sont encouragées et applaudies pour leur donner du courage, car apparemment elles ne sont pas dans une cellule unique comme nous. La chaleur et la cohésion de groupe entre détenus est exemplaire. Quelques habitués des manifestations aident les autres pendant que la plupart des gens font connaissance. La plupart sont issus des classes moyennes, ont des emplois raisonnables, et viennent soutenir le mouvement d’occupation après leur journée de travail. Beaucoup participaient à une marche pour la première fois, et la plupart sont en cellule pour la première fois également.

Deux hommes sont à remarquer parmi les autres détenus. L’un est un pasteur vêtu de noir, avec une cravate blanche. Il a été la première personne interpellée ce jour-là. Il fait un discours poignant au reste de la cellule. J’ai vu plus tard des vidéos et de nombreuses photos de son arrestation. Le second est un quinquagénaire grand et à forte corpulence, en chemise blanche. Il est accusé d’avoir été violent contre un policier lors de son appréhension. Nous le voyons aller et venir plusieurs fois, sous les encouragements et les huées, avant de le voir être emmené, menotté.

Libérés

A 1h du matin mon nom est appelé, de même que les quatres autres avec qui j’ai été groupé. “Notre” policier nous conduit vers la dernière pièce avant la sortie, où l’on nous remet une citation à comparaître pour le 15 novembre, sous le chef d’accusation “240.20(5)”, autrement dit désordre sur la voie publique avec tentative de bloquer la circulation. La derniere étape dans le commissariat sera de récupérer nos affaires, puis nous sommes escortés à l’extérieur.

Dans la rue nous sommes accueillis par des occupants de Liberty Plaza, qui nous donnent des conseils légaux, de la nourriture, des boissons, des cigarettes pour les fumeurs.

Phill et moi-même, l’ami avec qui j’ai été arrêté et qui a été libéré quelques minutes après moi, nous dirigeons dans les rues nocturnes, où l’activité habituelle du samedi soir est un contraste frappant avec les 9 heures que nous venons de vivre. Nous sourions.

Libérés!