7 Novembre 2020

НьюЙорк 7 ноябрь 2020 г.

Дорогая Юлия,

Где хочешь работать? Ou en Français: « Tu feras quoi quand tu seras grand(e)? » La question typique que l’on pose aux enfants. Car aujourd’hui je voudrais te raconter comment la vie m’a amené à ma carrière actuelle.

Je ne suis jamais passé par la case « Je veux être pompier! » ou policier, ni même footballeur. Par contre, étant petit, je voulais être conducteur de grue (sur les chantiers), et même, après avoir vu la musculature d’Arnold Schwarzenegger dans Conan le Barbare, je m’imaginais un moment… culturiste ! (body-builder!). Je crois que j’ai un peu échoué de ce coté-là  ! Plus tard au lycée je pensais à la biologie marine. Mais le fils de l’ancien patron de mon père (qui m’avait donné mes premiers poissons d’aquarium) avait suivi ce cursus, pour finalement devenir vendeur en animalerie. Je me suis donc dirigé vers l’ingénierie, en informatique, au mécontentement de mes parents qui me voyaient aller en médecine, car en 1994, on entendait déjà : « Oh l’informatique ? C’est déjà bouché, il n’y aura plus de boulot là -dedans ! » Mais comment en suis-je venu à me passionner pour la programmation et à en faire mon métier ?

Tout a commencé au milieu des années 80 : j’étais en école primaire, et certaines élèves ont parlé des ordinateurs que leurs pères (souvent ingénieurs) s’étaient acheté à la maison. C’était le moment des Atari, Amiga, Commodore, et en France, Thomson et Amstrad. Mes parents me demandèrent un jour : « Mais toi, ça ne t’intéresse pas ? » « Oh non, c’est seulement pour les nuls en maths, pour faire les exercices à leur place ! » La référence aux mathématiques étant due au fait qu’en France cette matière sert à trier « bons » et « mauvais » élèves. Et je m’imaginais alors qu’un ordinateur était une machine intelligente, capable de résoudre des tas de problèmes, comme dans les films de Science-Fiction ! Un an plus tard, mon école recevait son premier ordinateur, un « TO7 », et nous eûmes alors un cours de programmation en « logo » par une institutrice fraîchement formée. Elle nous montra comment, avec des instructions de programmation (en Français!) elle pouvait faire bouger un triangle (la « tortue ») sur l’écran, en tapant au clavier : « avance 20, tourne 90, avance 30 tourne 90, avance 20, tourne 90, avance 30 ! » Et voilà un rectangle ! Et là , devant cette machine qui ne pouvait pas faire grand chose, et certainement pas des devoirs de math à ma place, je tombais en admiration. Je t’ai déjà parlé du fait que mes parents m’ont

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toujours acheté tout ce dont j’avais besoin pour mon éducation. Quelques mois plus tard, un peu avant Noël, mon père et moi allâmes donc au premier magasin d’informatique de la ville commander mon premier ordinateur : un Thomson TO8, suivant les recommandations du vendeur. Certes il y avait des jeux dessus. Mais ce qui m’a intéressé surtout c’est d’apprendre à le programmer, en BASIC. Je prenais les exemples du livre, je les modifiais pour les adapter, et je commençais à écrire de petits jeux de questions/réponses. Ce qui me fit vraiment progresser, c’est qu’en deuxième année de collège, je pus suivre des cours de programmation avec… le professeur de biologie ! Un seulement par semaine, mais avec les heures passées à la maison à faire des graphiques sur du papier millimétré que je programmais ensuite, je fis de petits jeux que je pus même fièrement distribuer à mes amis. Notamment une bataille navale avec un petit avion animé et sonorisé, tout ça en écrivant des notes de musique ! Lorsque j’entrais au collège, je savais seulement faire des questionnaires à choix multiples. Lorsque j’en sortis, je savais programmer tout sur mon ordinateur, y compris le joystick. Au lycée je fus accepté dans l’option informatique, ou j’appris le Turbo Pascal, ainsi qu’à me servir d’un PC, d’un Mac, et de toutes sortes de lois autour des ordinateurs (y compris celles sur la vie privée, qui existent encore, et qui mettent des bâtons dans les roues de Google et compagnie quand ils essaient de vendre les données des citoyens Européens!) Ce fut seulement quelques années plus tard, en école d’ingénieurs, que j’appris de « vrais » langages vraiment utilisés : C et Java (qui venait d’apparaître).

Je fais maintenant un pas de vote, voire un bon en arrière, et je remonte à nouveau à mon enfance. Pour Noël, mon oncle Richard m’offrit un jour un livre : « Le grand livre des inventions » qui détaillait l’histoire des inventions : la voiture, la lampe électrique, et… l’ordinateur ! A ce chapitre, une page surtout retint mon attention, et changea ma vie : celle sur les « super-ordinateurs » (de nos jours on dit HPC: calcul haute performance en Français). Je pensais qu’il s’agissait là de l’intelligence artificielle des films, et de mes rêves, mais non, il s’agissait juste d’ordinateurs classiques, mais plus rapides et plus gros que ceux auxquels j’avais accès. Je dévorais cet article et rêvais du Cray I. Bien des années après, la première fois où je pus me connecter à Internet, dans une librairie, sur un PC en accès libre et après dix minutes d’attente, le tout premier site auquel je me connectais fut… CRAY.COM. Et là je vis qu’ils existaient encore, et fabriquaient toujours les ordinateurs les plus puissants au monde. J’ai raconté un jour cette anecdote à mon directeur de thèse, et ça l’avait fait rire. Mais comme tu le vois, quand j’ai une information qui m’entre en tête, elle ressurgit parfois des années après, comme ces fleurs qui dorment longtemps avant de fleurir. Cela ne fut toutefois pas un sursaut immédiat, car j’étais en classes préparatoires aux grandes écoles. Et il me fallait d’abord étudier

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dur pour entrer dans une bonne école d’ingénieurs (le système français marche par contours : les meilleurs élèves choisissent les meilleures écoles, et ainsi de suite).

L’école ou j’entrais en 1997, début Septembre, se trouve à Brest en Bretagne. Elle se nomme aujourd’hui ENSTA Bretagne, à l’époque ENSIETA. En tout cas, lorsque loin de là tu es née, j’étais sans doute en train de regarder le ciel gris et la pluie constante. C’était une école qui se voulait uniquement orientée vers la mécanique et électronique. Mais, bien cachée dans la branche électronique, se trouvait un option « informatique temps réel ». Il va de soi : ce fut mon choix. En deuxième année, pendant l ‘été, je fis un stage a Caltech, avec un ingénieur de la NASA. C’était un rêve d’enfant qui se réalisait. Hélas, cet homme était si médiocre que cela mit un terme à mon rêve. En troisième année, pour le stage de fin d’études, je cherchais à aller encore dans un pays étranger. Je cherchais, je ne sais pourquoi, dans le domaine des super-ordinateurs. Et là je tombais sur une entreprise à Oslo. Ils m’acceptèrent en stage pour six mois, et m’offrirent un travail une fois diplômé. Seulement voilà, en décrivant des problèmes intéressants à mon prof en France, il me dit un jour : « Tu sais, il y a un chercheur qui a un sujet de doctorat là-dessus, c’est à Paris… tu ne voulais pas faire une thèse ? » Voilà comment je suis entré de plein pied dans le monde où j’évolue. J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de gens talentueux, sur des projets intéressants, pour des clients dont le travail me fait dire : « Géraud, tu es utilise à la société. »

Alors certes, je ne conduis pas de grue, la biologie marine se résume pour moi à faire pousser des coraux dans ma cuisine, je n’ai pas inventé de jeu vidéo populaire. Mais je suis épanoui dans mon travail, malgré sa difficulté notable, car, tous les jours ou presque, j’y apprends quelque chose de nouveau. Et si je peux te souhaiter quelque chose, c’est bien de trouver une voie où tu te sentiras épanouie.

А ты Юлия, чем ты хотела работать, когда была маленькая?

Je t’envoie des baisers avec tout mon amour,

Твой ГузиГузи, Géraud