27 Novembre 2020

Нью-Йорк, 27 Ноябрь 2020

Дорогая Юлия,

Alors que tu lis cette lettre, cela fait maintenant cinq mois que nous nous parlons. J’ai donc décidé de t’écrire une sorte de rencontre rêvée, mais en relation avec une chose bien réelle… Мне нравится когда мы гуляем на улице в Нью Йорк . Так, если хочешь, сегодня мы можем гуляц на улице в Париже.

Nous allons commencer notre ballade à mon ancienne adresse : au 24 rue Louis Blanc. Dans le 10eme arrondissement, à deux pas du Canal Saint-Martin. A cet endroit, c’est une rue étroite, et en face de nous tu peux voir un bâtiment moderne : c’est le tribunal des Prud’hommes, où sont jugées les affaires liées au droit du travail. Remontons la rue un peu, et voilà un pont qui enjambe le canal. A notre gauche il y a un ancien entrepôt, devenu salle de concert et d’expositions artistiques : le Point Éphémère. Tu peux voir que beaucoup de monde aime à manger un sandwich à côté du bassin large qui est là, quai de Valmy.

Restons de ce côté du canal et suivons le quai. Pendant ce temps, tu vas souvent remarquer des mosaïques ressemblant à des extra-terrestres de jeux vidéos : ce sont les toutes premières œuvres de l’artiste de rue « Space Invader », qui en a maintenant partout dans le monde, mais c’est là qu’il a commencé. D’ailleurs, pour moi l’esprit du canal apparaît la nuit, alors éteignons la lumière, et nous y voilà, par une nuit d’hiver, seuls : l’eau du canal reflète la lumière des réverbères, et les souvenirs du passé semblent y être à nouveau vivants. On se serre l’un contre l’autre en pensant à Céline qui écrivait : « Ils allaient jusqu’au couteau et au canal Saint-Mar tin pour régler la contradiction ». Mais nous sommes bien seuls à cette heure-là. Nous admirons l’écluse du square des Récollets, depuis la passerelle, mais il fait nuit et Amélie Poulain n’y fait pas de ricochets. De l’autre côté, l’Hôtel du Nord, où la voix d’Arletty nous demande sarcastiquement : « Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère moi ? » Continuons à suivre le fil de l’eau, nous pouvons le faire jusqu’à ce que le canal devienne souterrain, au niveau de la place de la République. La nous pouvons alors marcher « sur » le canal, dans le square Jules Ferry, ce qui nous amène au Bataclan.

Allumons à nouveau la lumière, et en ce beau jour de printemps, suivons alors le beau

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boulevard Voltaire et ses immeubles Haussmanniens, jusqu’à la rue de la Roquette. Elle doit son nom à une prison pour enfants depuis longtemps disparue. Arrêtons-nous pour manger un instant « A la Renaissance », mon bistro-restaurant préféré : ça va te plaire, ils ont une assiette de fromages fabuleuse. Nous pouvons prendre un café un peu plus bas, au bar rock « Les Furieux » : peut-être y verrons-nous de vieilles connaissances. Faisons un pas de côté rue Saint-Sabin, et allons aux Caves Saint-Sabin : il y a un concert de musique gothique, acoustique, qui nous enfante dans ces caves voûtées du 18eme siècle. Derrière sa table, le patron nous propose une partie d’échecs. Quand nous sortons de là, c’est le petit matin : parfait pour se rendre place des Vosges, et prendre un croissant et un café noir sous les arcades qui entourent la place, en admirant la maison de Victor Hugo.

Continuons donc notre chemin pour enfin arriver place de La Bastille : que de monde attablé aux bars et restaurants ! Nous retrouvons alors notre ami le canal Saint-Martin qui ressort dans le bassin de l’Arsenal avant de se jeter dans la Seine. Remontons donc la Seine le long du quai Henri IV. Cela nous amène à L’Île Saint-Louis : allons nous y promener : ses petites rues calmes sont magnifiques, et au détour d’une petite rue pavée, nous voyons un trio de jazz trompette-contrebasse-batterie. Nous les écoutons un moment avant de continuer notre chemin. Face à nous, mais nous sommes encore séparés par la Seine, la grande dame, Notre Dame, qui nous tourne le dos. Mais je te l’avoue, pour moi c’est son plus bel angle. Nous repassons rive droite, et nous nous arrêtons dans une brasserie pour manger. Il fait beau, nous sommes heureux, et dans tes yeux rieurs se reflète mon propre bonheur.

Nous nous arrêtons un instant sur la place de l’Hôtel de Ville, puis nous traversons le Pont d’Arcole pour arriver sur L’Île de la Cité. Nous pouvons voir que les travaux de la cathédrale avancent bien : on dirait une fourmilière autour d’elle, comme lors de sa construction il y a presque neuf cent ans. Nous nous baladons sur L’Île de la Cité, notamment le très beau marché aux fleurs et aux oiseaux, ainsi que tous les bâtiments officiels qui nous impressionnent : à eux seuls ils représentent une énorme partie de l’histoire de Paris, et à travers elle, de l’histoire de France.

Alors que l’après-midi touche à sa fin, nous nous rendons rive gauche, par le pont Saint-Michel. Nous regardons les livres vendus par les bouquinistes le long des quais : lorsque je vivais à Paris, c’est l à que je m’approvisionnais pour que Dostoïevski, Vian, Camus et les autres m’accompagnent dans le train de banlieue me menant à l’université, à Orsay. Nous passons quelques minutes à étudier les détails de la Statue de Saint-Michel tuant le dragon.

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Il est l’heure de dîner, et dans le quartier touristique Saint-Michel, il y a deux types de restaurants partout : grecs « ici on peut casser les assiettes » et… les restaurants à fondue savoyarde : du fromage fondu que l’on mange à l’aide d’un morceau de pain sur une pique. Inutile de te dire où nous allons ! Après cela, pour le dessert, nous nous arrêtons dans une minuscule pâtisserie maghrébine, où se côtoient loukoums et cornes de gazelles : quels délices ! Maintenant il est temps de te faire découvrir un de mes endroits préférés à Paris : le Caveau des Oubliettes, rue Galande. C’est près de là où nous nous trouvons : repassons par les ruelles étroites remplies de touristes, et entrons dans cet endroit où j’ai passé de très nombreux vendredis soirs (il faut arriver avant 21h30 pour avoir une place!)

Attendons dans le bar que le caveau ouvre. C’est très petit, et il y a déjà du monde. Sur le sol il y a du gazon. Aux murs, des photos de musiciens, notamment Jango Reinhardt. La guillotine qui jadis donnait son nom au bar a disparu. 21H55 : la petite porte du fond s’ouvre, et nous descendons les marches d’un escalier minuscule. Nous voilà dans le caveau à proprement parler: une succession de caves voûtées du 12eme siècle. Nous nous installons à une petite table, en face de la scène. Bientôt, le concert commence, endiablé. L’organiste paraît possédé : il ferme les yeux quand il joue, tout en paraissant chanter les notes. Le batteur chante du scat, et lors d’une improvisation sur « Cantaloupe Island », il se lève tout à coup, baguettes en mains, et continue à jouer, contre les verres des auditeurs, sur les tables rondes, sur les rails et les chaînes de fer qui bordent les murs. Dans la salle, tout le monde sourit : les musiciens, les spectateurs, les techniciens… c’est une communion du bonheur dans la musique, que tous prennent plaisir à jouer ou à écouter. Dans cette cave, il ne fait jamais froid sous les lourdes pierres jaunes : les cœurs et les âmes sont réchauffés par autant de beauté, de virtuosité, d’amitié spontanée. Quand nous ressortons, à la fermeture, nous avons encore de la musique dans les yeux et les oreilles, et je pense alors à ces paroles de Jean Ferrat : « Le jazz ouvert dans la nuit, sa trompette qui nous suit, dans une rue de Paris. Que c’est beau, c’est beau la vie ! »

C’est le matin maintenant, et les rues sont calmes dans le quartier Saint-Michel : dirigeons-nous vers la Sorbonne, et arrêtons-nous un moment dans un des nombreux cafés qui se trouvent ici. Il est l’heure du petit-déjeuner : café au lait, jus d’orange, et croissants chauds ? Autour de nous, Paris commence à se réveiller, et des professeurs ainsi que leurs élèves passent au comptoir, et le temps d’un espresso, se relâchent avant le grand spectacle des cours magistraux. Les touristes n’apparaîtront que plus tard, et pour l’instant, les rues sont remplies de Parisiens. Allons faire une petite visite au Parc du Luxembourg tout proche.

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C’est ici que d’Artagnan devait rencontrer les trois mousquetaires en duel, mais de nos jours, la pratique a disparu. Les statues des reines de France, couronnées de pigeons, suivent nos deux silhouettes. Nous nous asseyons au bord de la fontaine Médicis, profitant de la fraîcheur de l’ombre des hauts arbres pour nous reposer un peu. Je regarde tes yeux, et je réalise que depuis le premier moment où j’ai vu cette fontaine, il y a bien longtemps, j’ai ressenti le besoin d’y aller un jour avec une âme aimée, qui saurait ressentir la beauté de cet endroit : ce moment est venu, et tu réponds à mon regard par un sourire paisible. En sortant du parc, nous voyons les boutiques de livres rares, aux rangées d’éditions illustrées des œuvres de Jules Vernes. Nous arrivons alors devant la belle Église Saint-Sulspice, et de là jusqu’au quartier de l’Odéon. Nous traversons à nouveau la Seine via le Pont des Arts, ou Brassens dit que le vent s’amuse dans les jupons des filles, le vent fripon !

Nous voilà dans la cour du Louvre, avec sa célèbre pyramide de verre. Nous irons sans doute aller dire bonjour à la Joconde prochainement, mais pour le moment, nous passons sous l’Arc de Triomphe du Carrousel pour rejoindre le Parc des Tuileries, et l’ancien palais des rois de France. Traversons donc ce magnifique parc, en admirant aussi les arcades de la rue de Ricoli qui le bordent. A son centre, entouré de sièges métalliques verts, un petit bassin où barbotent des canards. Arrivés à la grille de sortie, nous voilà place de la Concorde. D’ici on voit la Tour Eiffel au loin, ainsi que l’Assemblée Nationale toute proche. Suivons toujours la même direction : cette allée verte et large, c’est le tout début des Champs Élysées, dont on aperçoit au loin l’Arc de Triomphe. Nous irons visiter tout cela aussi, mais une autre fois, car il commence à être tard, et nos pieds sont bien fatigués… A bientôt donc pour une autre visite à Paris ?

J’espère que cette balade t’a intéressée. J’ai eu plaisir à te l’écrire car cette ville est remplie de moments joyeux pour moi. Et évidemment je compte te montrer tous ces endroits et bien d’autres encore !

Je t’embrasse très fort Дорогая Юлия, et depuis Manhattan d’où je t’écris, un flot de pensées et d’amour s’envolent vers toi. Я тебя люблю.

Твой Géraud