В Нью-Йорке, в 28 Декабря 2020 г.
Дорогая Юлия,
Aujourd’hui, je vais t’emmener en voyage. Pas des voyages imaginaires, mais des impressions glanées ici et là dans des endroits où j’ai eu la chance de me rendre, soit en vacances, soit pour le travail ou les études.
Commençons d’abord par ce qui a constitué les vacances d’été de toute mon enfance: mes parents louaient une petite maison faisant partie d’une ferme, en Ardèche, dans le village de Saint Étienne de Lugdarès. Ma mère a des cousins près de là (Le Plagnal où est née ma grand-mère Renée est à quelques kilomètres), et nous étions devenus amis avec les deux frères qui nous louaient la maison. Le village est très joli : il y a beaucoup de fontaines, jadis lavoirs où les femmes venaient battre le linge sur des dalles de pierres toujours là. Aujourd’hui les vaches s’y arrêtent pour s’abreuver. Il y a une belle et grande église sur la place du village, remarquable par l’alternance clair/sombre de ses rangées de pierres : le sombre c’est de la lave, car ici on est sur un volcan endormi. Au bas du village, dans la vallée en pente douce, coule une petite rivière, entre des bâtiments où couchent des brebis et les très agressifs béliers ! Quand je pense à cet endroit, je pense d’abord à une odeur : celle des genêts jaunes en fleurs : elle est partout quand on sort du village ! Après cela je pense à des couleurs : le jaune des genêts, le bleu du ciel, le vert clair des prés, le vert sombre des sapins, le rouge de la terre, et enfin le noir des myrtilles, que l’on peut ramasser partout. Elles sont délicieuses, de même que les minuscules fraises des bois que l’on cueille au détour d’un chemin. Les pâtisseries locales en font de délicieuses tartes ! Mon père allait souvent en acheter une le dimanche… La nourriture locale est délicieuse : le pain est fabuleux, et accompagne la charcuterie (désolé, c’est du porc!) mais surtout les fromages ! Faits au lait de chèvre comme les pélardons, de brebis ou de vache : la tomme locale est un de mes fromages préférés : ma mère m’achète toujours une « tomme de Luc » quand je lui rends visite : j’ai hâte de te la faire goûter ! Ces fromages, et le beurre, viennent du lait des vaches que l’on entend partir le matin et rentrer le soir : ce lait frais s’achète alors, et il est délicieux! Le son des cloches rythme les journées : celles des clochers des églises, celles au cou des vaches, celles des chèvres en pâture. Quand on est en foret par contre, où il fait frais, ce sont les chants
\2
des oiseaux et des insectes (il y a des grillons partout) qui forment la symphonie de la nature. Quand je pense à ce temps, c’est tout cela qui me revient en tête, ainsi que des morceaux de vie, comme des polaroids : un vieux fermier qui n’a jamais acheté de tracteur et dont les deux énormes bœufs, effrayants, tiraient la « calèche » où il était assis ; le petit cirque installé sur la place du village ; les jeux avec mes cousines, à l’entrée du village ; les petits bateaux que mon père m’avait appris à sculpter dans l’écorce d’arbre ; les chiens des berges si amicaux ; la plaque sur la maison où est né le bagnard-écrivain « Papillon ». Tout cela c’est mon enfance, mais aussi mes racines, et même si j’adore les villes, « La Montagne » chantée par Jean Ferrat fait partie intégrante de moi. Et toi, Дорогая Юлия, pourras-tu un jour me décrire les endroits de ton enfance ? Peut-être sont-ils proches ?
L’enfance, ce sont aussi les excursions scolaires, et les colonies de vacances. Ma ville avait un camp de ce genre dans les Alpes, et j’y suis allé pour mes dix ans, pour un mois. C’était très beau : les montagnes (Massif Central) que je connaissais jusqu’alors étaient anciennes, donc très rabotées par des millions d’années. Les Alpes autour de Saint-Firmin, ce sont des pics, des montagnes grises, jeunes, hautes, effrayantes parfois ! Je me souviens des énormes fleurs très dures et épineuses qui crevassent les routes et que nous essayions de garder en souvenirs ; des séances de camping où les moniteurs n’avaient pas prévu assez de couvertures et l’on claquait des dents sous les tentes ; enfin une marche de 10km qui devint 30km, car ils s’étaient perdus et il a fallu nous récupérer en bus ! Mais que de bons souvenirs : les ateliers sculptures, les marches dans les bois, les goûters au lait concentré sucré, les vautours et les aigles entrevus sur les falaises, les ruines du château local… j’y suis retourné des années après, avec mes parents : hélas le camp était abandonné, mais les montagnes toujours là, et toujours belles et mystérieuses ! Les sorties scolaires quant à elles, étaient plus locales : Nîmes évidemment avec ses monuments romains, mais aussi la Camargue avec les taureaux noirs, les chevaux blancs, et les flamands roses : cet endroit est magnifique, et près de là, à Aigues-Mortes, on peut voir les bassins d’eau rose d’où le sel est extrait, depuis les remparts médiévaux de la ville. J’ai fait seulement deux longs voyages avec l’école. Le premier, au collège, en Italie : Naples-Pompéi-Herculanum. Nous sommes passés à la Tour de Pise à 2 heures du matin en chemin, et nous avons fait une journée de visite à Rome. C’est un endroit que je veux revoir, comme dans le film de Fellini, c’est extraordinaire le mélange moderne/antique, d’autant plus que les monuments sont très bien conservés : les Romains construisaient pour deux mille ans ! La région du Vésuve est belle aussi, mais tragique : se promener à Herculanum, c’est comme voir un endroit qui semble figé dans le temps, comme dans les contes de fées,
\3
mais où la sorcière qui jette un sort et fait s’endormir la ville a été remplacée par un volcan. Le fait est qu’à Herculanum les maisons sont entières, et on se ballade dans un village qui dort depuis 2000ans presque. La modernité est étonnante : on se sent plus proches des Romains que du Moyen-Age avec ces maisons en pierre qui ont des toilettes, le chauffage par le sol, ces magasins où il paraît ne manquer que des clients. Mais ce qui marque le plus, ce sont bien sûr les moulage de plâtre des victimes piégées à Pompéi pour l’éternité. Et là on ressent quelque chose d’universel : la souffrance, qui a traversé deux millénaires. La semaine dernière, une échoppe a été découverte dans la ville. Avec des peintures illustrant la nourriture qui y était vendue : tout cela paraît si moderne, on pourrait presque oublier que c’est une catastrophe qui nous a permis de savoir comment vivaient ces gens plus proches de notre mode de vie que nos propres ancêtres !
Le deuxième séjour scolaire que je fis fut au lycée, quatre-cinq jours dans un village de vacance sportif : canoë-kayak, alpinisme, spéléologie. J’adore le kayak, et en faire sur une rivière rapide était phénoménal ! La spéléo, ce fut étrange : nous sommes arrivés devant une caverne qui devenait de plus en plus étroite. Nous avons pensé que la grotte était dans le prolongement, mais l’instructeur se plaça près d’un trou dans le sol et nous dit : « Voila, on descend ici ! » Nous avons cru à une blague, ça paraissait trop petit ! Mais non, c’était là, et ce fut extraordinaire : pas de salles énormes comme dans les grottes touristiques près de là, mais des boyaux étroits où l’on doit se contorsionner pour passer. Et la boue, partout, qui rend la tache plus facile sauf quand il faut monter une pente glissante ! Je ne sais pas si tu as déjà fait cela, mais si tu n’es pas claustrophobe, c’est quelque chose à essayer ! Le fait marquant toutefois, ce fut sur le plan humain. La professeur de sport qui avait organisé le voyage est devenue presque folle (de jalousie car les moniteurs s’intéressaient plus aux filles de la classe qu’à elle) : elle a même parlé de couper court le voyage et rentrer ! Par chance, nous avions convaincu notre prof de Français de venir. Je t’en reparlerai. Mais voilà sa description : Mme Brunel, 1m55, avec une voix toujours très douce, très calme, et qui avait environ 40 ans. C’était sa première année en tant que professeur. Avant cela, elle était éducatrice auprès de délinquants juvéniles. Le résultat ? Elle savait que la violence verbale ne sert souvent à rien, et pouvait inspirer le respect sans se départir de son sourire ni de sa parole posée. Elle parla une demie-heure avec l’autre prof, et cela suffit à la ramener à la raison. Ma plus grande joie fut quand, signe de confiance, elle me dit « tu » au lieu de me vouvoyer. Il faut dire que c’était la dernière semaine de cours. Je dois mon niveau en littérature à cette professeure, ainsi que mon écriture !
\4
J’ai eu quelques autres occasion de voyager ensuite, notamment au Canada à la fin de mes études d’ingénieur. Mais je vais te parler d’autres voyages ou séjours plus personnels. Tout d’abord, mes premières vacances lorsque je fus diplômé : je décidais de les passer en Pologne, où je connaissais mon amie Monika, qui vivait à Varsovie. Elle et son copain, Tomek, ainsi que leur groupe d’amis, furent d’une gentillesse extrême. En Français il y a une expression, « L’Âme Slave », qui parfois est l’ « Âme Russe » (Русская душа). Elle décrit des personnes fortes, mais au grand cœur. Pour moi mes amis Polonais correspondaient exactement à cela : le sourire toujours aux lèvres, même dans l’adversité, et toujours prêts à aider les autres. Une générosité en toute chose. Nous allâmes à Cracovie. Et en passant, grâce aux recherches de Monika, nous passâmes dans un village : Złota : c’est là où est né mon arrière grand père. C’est un petit village triste, et j’avoue que j’ai compris pourquoi mon aïeul l’a quitté pour les champs du Sud de la France où il travaillait ! Nous avons visité Cracovie. C’est une très belle ville, qui à l’époque (2001) n’avait que peu de touristes étrangers. Je me souviens seulement de trois idiots Américains saouls qui, un soir, croisant des jeunes filles, demandèrent hilares « How much ? » Le « Fuck you ! » qu’ils se virent rétorquer me fit chaud au cœur. Pres de la ville se trouve un village, Oświęcim, Auschwitz en Allemand. Nous sommes allés visiter le camp d’extermination. Ce qui m’a paru étrange, c’est que le fait qu’en cette fin Avril, il faisait beau, très chaud, l’herbe était verte et près des rangées de fils barbelés électrifiés, poussaient des fleurs, des narcisses. On associe cet endroit au froid, à la peur, au gris, pas à de jolies couleurs. Mais quand la visite commence, on réalise où on est en voyant les traces des ongles striant les murs des chambres à gaz. Puis l’on se sent comme dissocié de la réalité, de ce que l’on voit : on a du mal à imaginer que des êtres humains puissent faire ça. Ce qui m’a fait revenir sur terre, c’est une pièce remplie d’objets dans d’énormes « aquariums ». Dans un il y a des béquilles, dans un autre des lunettes, un troisième des fausses dents. Et puis il y en a un qui contient des cheveux. De toutes les couleurs naturelles. Les cheveux coupés comme cela, c’est comme chez le coiffeur sur le sol : des poils. Mais en regardant de plus près, j’aperçus une natte. Et la je réalisais vraiment la portée de ce que je voyais. L’horreur. L’atroce souffrance. Dans ces moments, on ressent de la tristesse, de la colère, mais aussi de l’impuissance. J’ai acheté deux livres sur place : « This way for the gas, ladies and gentlemen » de Tadeusz Borowski, qui raconte la vie du camp où il était prisonnier politique. Le deuxième est un livre de photos faites par l’Armée Rouge à la libération du camp : je n’arrive à l’ouvrir qu’avec difficulté.
\5
Lors de mon séjour en Pologne, je suis aussi allé à Torun, où est né Copernic, et qui est la capitale du délicieux pain d’épices. J’ai attrapé un coup de soleil en marchant le long de la Vistule, ce qui fit dire à mes amis à Paris : « bronzé comme tu es, tu étais à Tahiti, pas en Pologne ! ». Quand je pense à ce voyage, je pense surtout aux sourires, à la gentillesse, à la générosité de ceux que j’ai rencontrés, mais aussi à la recette de la salade de riz de ma mère que je leur avais préparée et qu’ils ont adorée. Je crois que toi Юлия, et moi-même, nous avons beaucoup en nous de cette « âme Slave » !
Lors de ma thèse, j’ai fait plusieurs voyages aux USA : normal, c’est là où sont la plupart des conférences. Mais j’eus aussi la chance d’aller en Tunisie et au Japon, à quelques semaines d’intervalle ! La Tunisie, c’était Hammamet. C’est là, ou c’était là que les touristes Français vont. Que dire ? On dirait un décor : de grands hôtels partout au bord de la plage, tous de la même couleur sable, mais dont la forme définit le style. J’ai pu parler avec des locaux seulement à deux reprises : en sortant de l’hôtel avec mon directeur de thèse, nous sommes allés prendre un thé (délicieux : thé à la menthe et aux pines de pin, très sucré) dans un bar. Quand mon prof a ouvert son ordinateur portable, tout le monde nous a posé des questions : ils n’en avaient jamais vu comme cela. La deuxième fois était intéressante : j’ai du prendre un taxi pour aller à l’aéroport de Tunis, seul. Une heure de trajet, en partie dans le désert. Lorsque j’ai parlé Palestine au chauffeur, en lui demandait quelle était la position des habitants du pays sur ce sujet, il s’est tu, m’a regardé longuement, puis m’a dit : »vous savez monsieur, ici en général on ne parle pas de politique avec des inconnus, par peur de la police », « une personne sur trois est un policier, et on a peur d’être dénoncé », « la Tunisie est une dictature monsieur. » Et là il me parla de la corruption, des problèmes économiques, de la défiance généralisée. Bien des années plus tard, lors du printemps arabe de 2010, je pensais à ce taxiteur lorsque la famille Ben Ali fut chassée du pouvoir.
Au Japon, j’étais à Kansai Science City, une extension de la ville historique de Nara. Cette ville a pour symbole un cerf, et effectivement, ils sont partout ! Au lieu d’avoir des pigeons, ils ont des cerfs ! J’ai pu visiter un temple bouddhiste local qui abrite la plus grande statue en bronze de Bouddha au monde. Il y avait beaucoup de classes d’écoliers en visite, et je crois que ce jour-là, voir deux Français était plus intéressant que le temple. Lors de ce séjour, j’ai pu voir le beau mélange entre tradition et modernité du pays : au marché local, une femme d’environ 30 ans faisait ses courses en kimono traditionnel quand à deux pas de là des adolescents regardaient les nouveaux modèles de portables. Avec mon directeur, nous avons essayé toutes les spécialités culinaires locales : sushis frais avec du poisson ramené au port
\6
le matin même, brochettes, soupes, barbecue où tu cuis toi-même ta viande, et même… un restaurant « à la Française », où le fait marquant était que l’on te donnait dix petits pains, tous avec un goût différent ! La nourriture était partout délicieuse, et il se trouve des restaurants à New York qui la servent authentiquement ! Если хочешь Юлия, мы можем есть там когда тю будешь в Нью-Йорке! Ce qui m’a marqué, c’est la politesse et l’amabilité des gens, la propreté des lieux, et partout le perfectionnisme. L’exemple qui me vient à l’esprit, c’est que dans la chambre où je logeais, pour allumer ou éteindre le plafonnier, il y avait un cordon à tirer. Au bout de ce cordon, une boule photo-luminescente : tout paraît mûrement réfléchi au Japon ! Quelques éléments culturels maintenant… Mon prénom leur est imprononçable, alors un jour un professeur m’appela quand il était avec sa secrétaire : « Tell her your name ! » « Kra-we-zik » « No, no, the other one ! » « Gé-raud » « Dze-lo ? Hi hi hi hi ! » Les femmes ont une façon de marcher très étrange quand elles sont pressées : elles baissent la tête, paraissent regarder le sol, et trottinent très rapidement mais à petit pas ! J’avais toujours peur d’en percuter une à l’angle d’un couloir ! Note que la société la-bas reste très traditionnelle et patriarcale : j’entendais récemment que les femmes sont obligées de porter des jupes au bureau et les lunettes leur sont interdites ! Une chose étrange enfin : les gens crient beaucoup dans les restaurants ! Quand la porte s’ouvre : « Ohayou-gozaimasou ! » tous les serveurs crient cela, et même les cuisiniers quand ils l’entendent ! C’est très bruyant ! Je disais en plaisantant que le pays parfait, ce serait le Japon, mais habité par des muets ! En tout cas, j’espère y retourner un jour, voir Tokyo, mais aussi les villages où les traditions et légendes restent bien vivantes : irons-nous ensemble моя любовь ?
Voila donc quelques impressions de voyages dont je voulais te parler. Et toi, Дорогая Юлия, y-a-t’il un voyage qui t’a marquée plus qu’un autre ? Le monde est vaste et la vie est courte : quels endroits aimerais-tu visiter ou revoir ?
Ce qui est sur pour moi, c’est que je veux découvrir de nouveaux horizons en ta compagnie, car je crois que nos idées si proches, nos cœurs qui battent à l’unisson, nous permettrons de découvrir et apprécier de belles choses, вместе.
Du fond de mon cœur, je t’envoie de tendres baisers. Я тебя люблю Юлия.
Твой Géraud