26 Janvier 2021

В Нью-Йорке, в 26 января 2021 г.

Моя дорогая Юлия,

Maintenant que tu sais que j’ai des tatouages, j’ai pensé qu’il serait intéressant que je te raconte leur histoire.

Je ne me souviens plus exactement quand m’est venue l’idée de me faire tatouer pour la première fois. Étant enfant, à part Popeye, la seule personne tatouée que je connaissais était mon grand oncle Noël, dit « Jeannot ». Il portait toujours des « marcels » bleus (ce sont des T-shirts sans manche), ce qui permettait de voir l’ancre de marine tatouée sur son épaule : rien d’artistique, sans doute un tatouage fait pendant son service militaire, dans un recoin de chambrée !

Bien des années plus tard j’eus envie d’en faire un. L’emplacement ? Mon flanc gauche, déjà! Je pense que j’étais alors au lycée. Mon idée d’alors était quelque chose façon film d’horreur : je voulais que le dessin représentât mes cotes, mais qu’en dessous, dans les espaces, on y voit un embryon, l’air méchant, qui me ressemblât : une sorte de jumeau, frère siamois monstrueux. A l’époque je lisais beaucoup Lovecraft, et dans ses notes c’est une idée qu’il avait écrite. Je ne sais pas si c’est lié, mais il y a un épisode d’Aux frontières du réel (le nom Français des X-Files) qui parle de ça… A l’époque, je faisais aussi suffisamment confiance en mes talents de dessinateur pour me sentir capable de faire le dessin moi-même. Fort heureusement, je n’avais pas le temps de faire l’esquisse, et encore moins l’argent pour me la faire tatouer : imagine la catastrophe ! Certes il y a des artistes comme Paul Booth qui feraient cela très bien, mais je ne sais pas si j’apprécierai leur travail sur moi !

Il se passa presque dix ans avant que je ne franchisse le pas. En soirée gothique pas mal de gens avaient des tatouages, parfois très élaborés, mais en général, je n’étais pas attiré. Car en fait, quelques mois après avoir commence à y aller, j’avais vu sur un homme ce qui me plaisait ! Je remonte à nouveau en arrière ! Depuis quelques années je pensais à me faire percer, à l’arcade. J’ai failli faire cela, mais en même temps j’étais en train de finir ma thèse, et je me voyais mal chercher un travail costume-cravate avec un piercing à l’arcade. De plus un ami m’avait montré sa cicatrice au-dessus de l’œil, une bande blanche dans ses sourcils : son piercing était tombé de lui-même, en passant à travers la chair ! Aussi j’abandonnais mon idée d’origine

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et je réfléchissais à quel endroit discret un homme peut avoir un piercing… et je décidais que le téton me convenait. Le téton droit. Chez un homme en fait, c’est dans le mamelon que l’on perce car le téton est trop petit. Le résultat est donc comme un piercing de surface, avec les problèmes de guérison qui en découlent : c’est pour cela qu’éventuellement je l’ai enlevé : ça me paraissait mauvais pour la santé. J’allais donc au « Chat Percé », un magasin réputé à Paris, car ouvert par la première femme perceuse de France. Dans la salle d’attente, je faillis faire demi-tour en voyant Sonya. C’est une fille connue à Paris car elle a des tas de tatouages et de piercings, dont une quinzaine sur le visage ! Je me suis dit un instant : « Oula Géraud, tu ne vas pas faire la même chose avec le temps ? » Je restais quand même, et rencontrais le perceur qui m’expliqua la procédure, me dit que le premier bijou est toujours un anneau (il faut le faire tourner avec un savon spécial pour nettoyer pendant la cicatrisation). Je voulais un petit cadenas, mais l’anneau en métal chirurgical me parut bien aussi.

La salle de piercing me mit en confiance : on se serait cru dans le cabinet d’un dentiste ! Tout était très propre, les outils nettoyés à l’autoclave et mis sous vide : rien à redire. Le perceur me dit que pour le téton la douleur est intense, et me prévînt : « attention ça va pincer ! » Comme je t’ai expliqué, me faire pincer les tétons, je ne trouve pas ça désagréable, alors ça allait… mais quand il perça, ce fut autre chose : l’aiguille est très grosse, creuse, et malgré la rapidité de l’acte, la douleur est identique, pour un homme, à un choc violent dans les parties génitales. Sensation que je retrouvais le soir même quand, dans mon lit, j’accrochais et soulevais l’anneau par accident avec le drap ! Je me sentis KO chez le perceur, mais ce que je remarquais alors, ce fut le bras de celui-ci : un magnifique tatouage tribal, mais inversé : comme si le bras avait été noir, puis tatoué couleur peau. Je n’avais jamais vu un tribal aussi réussi ! Tout de suite mon idée de tatouage me revint, mais sous cette forme ! « Euh ton tatouage, qui te l’a fait ? » « C’est Roberto, il travaille ici ! » Je savais donc par qui je voulais me faire tatouer, dans quel style, et sur quelle partie du corps. Mais, je ne me sentais pas encore prêt à franchir le pas, alors je patientais encore.

Un an plus tard, je me sentis prêt. Les tatouages pour moi ont été à des moments clefs de ma vie, à la fois en bien et en mal. Dans ce cas c’était la soutenance de ma thèse et donc la fin des études. Mais en même temps le décès de mon arrière grand-mère, ma Mamée Hélène. Tout cela fut comme un déclic, je me suis senti prêt, à prendre possession de mon corps en y ajoutant quelque chose que j’ai choisi : un tatouage. J’allais donc pour prendre rendez-vous au « Chat Percé », mais là, mauvaise surprise : j’y étais deux ans avant, et le magasin avait fermé ! En désespoir de cause, je demandais sur un forum goth si quelqu’un savait où je pourrais trouver

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Roberto. Et là, six mois plus tard, alors que je n’y pensais plus, l’inespéré : une amie m’apprit que lui et d’autres ouvraient une nouvelle boutique : « Art Corpus ». Je pris tout de suite rendez-vous avec le tatoueur pour lui expliquer mon projet. Il m’avertit tout de suite : « c’est ton premier, c’est une grande pièce, et tu veux le faire sur l’un des endroits les plus douloureux du corps : tu es sur de toi ? » Roberto est très professionnel : il refuse les projets à la va-vite, sur un coup de tête, c’est un vrai artiste. Quand il comprit que ma démarche était mûrement réfléchie, que le courant passait entre nous (c’est très important!) il accepta. Une semaine plus tard, il avait dessiné le tatouage sur papier calque. Du moins le tracé extérieur. Après essai sur mon corps, il apparut que le dessin était un peu trop petit, et que la partie sous le sein ne me convenait pas parfaitement : je lui demandais de changer les pointes de façon à ce qu’elles suivent la courbe du sein / muscle pectoral plutôt qu’elles ne s’en éloignent. Nous nous mimes d’accord, et une semaine après, la première session de tatouage commença : le traçage. La toute première étape consiste à transférer le dessin du papier calque à la peau, à l’aide d’un liquide spécial. A ce moment, on a le tracé sur le corps, au stylo bic, et il faut le tatouer. Ma première impression ? Ça chatouille les aiguilles ! Pour le tracé il y en a cinq qui vibrent. La deuxième impression : ça pique ! Il avait commencé sur la partie supérieure, sous les aisselles. La troisième impression : ça pince ! On s’imagine qu’au lieu d’être des aiguilles, c’est une pince à épiler qui attrape la chair. On fit pas mal de pauses, et tout se déroula bien. Mais un passage est marquant : arrivé au bas de la cage thoracique, il y a les cotes flottantes que tu connais bien… Quand on tatoue dessus, elles se mettent à vibrer, et entraînent avec elles les organes qui sont en dessous : on a l’impression que c’est tout l’intérieur du bas du ventre qui se met à vrombir ! Tout fut terminé au bout d’un peu plus de deux heures, et je rentrais chez moi heureux : le tracé était déjà très prometteur, et l’agonie que l’on m’avait prédite n’avait pas eu lieu. Déjà. Je l’avoue, je commençais à regarder le résultat dans le miroir en me disant : « quand même, c’est très beau ! » Plus de quinze ans plus tard, il me fait toujours le même effet : ça valait le coup de patienter ! Une fois le tracé guéri (une dizaine de jours), commença la grande étape du remplissage. La partie supérieure dura quatre heures, et la douleur des huit aiguilles fut élevée, mais acceptable: ce jour-la, j’étais simplement prêt psychologiquement et physiquement. La partie base dura aussi quatre heures, deux semaines après, et ce fut… atroce ! Entièrement par ma faute : je n’avais pas assez dormi, pas assez mangé au petit-déjeuner. Roberto me donna des anti-douleurs pour arriver à tenir. Leçon retenue : rester chez soi et bien dormir avant une longue sceance ! Un mois plus tard, les retouches furent terminées dans de bonnes conditions en une heure, et c’est ce que tu peux voir sur ma peau.

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Je ne vais pas me lancer dans une philosophie du tatouage, mais voilà ce que j’ai pensé et remarqué chez moi : tout d’abord, c’est à des moments charnières de ma vie que je me suis fait tatouer : les idées sont là , mais il faut un déclencheur. Ensuite, après le premier, j’ai eu un sentiment que le fait d’avoir une œuvre sur moi signifiait prendre possession de mon propre corps. Tu sais comme les gens disent souvent : « il a les yeux de son père… il a le nez de sa mère… » Et bien là , c’est quelque chose à moi, unique ! Pas du tout question d’une rébellion d’adolescent : j’avais déjà 28 ans ! D’ailleurs j’ai parlé de mes tatouages bien des années après a mes parents, et quand je leur ai montré… mon père était si fier qu’il m’a demandé de les montrer à mes oncles !

Le deuxième tatouage marquât aussi une période de transition : la séparation, le déménagement à New York, mais surtout l’événement le plus triste de ma vie : le décès de ma grand-mère, ma Mamée Renée, à qui je dois tant de traits de ma personnalité. C’est presque un an après cela qu’un dimanche soir, je me sentis prêt. Je cherchais en ligne les studios dont le travail était sérieux et qui me convenait. Il y en avait un proche, encore ouvert : j’y allais, et demandais à parler à l’artiste dont le travail correspondait à mes désirs. Il me dit qu’ils avaient un tatoueur en visite, spécialiste du tribal. Après avoir vu son portfolio et discuté les détails, nous nous mimes d’accord. Quelques jours plus tard il fit le traçage : il dessina tout directement sur ma peau, au marqueur, car ce tatouage-là est plus en trois dimensions que le premier. Trois heures de travail, sans pause ! Le premier réflexe quand je sentis la morsure des aiguilles fut : « Aie, mais pourquoi je m’impose cela ? » Le remplissage en deux sessions de quatre heures se déroula bien, avec des « treize aiguilles », hormis une chose : le premier tatoueur étant parti, un de ses collègues le termina, et dans un studio voisin… sur la 23eme rue, dans le célèbre Chelsea Hotel ! C’est un des meilleurs souvenirs, car même si je l’apprécie, je ne le trouve pas aussi beau que le premier. Je voudrais le faire « terminer » par Roberto lui-même !

Voila, моя дорогая Юлия *, tu connais maintenant l’histoire de mes tatouages. Je t’avoue que j’adore voir les « grandes pièces » des maîtres : c’est impressionnant de découvrir ce qu’on peut faire sur la peau ! Je sais que tu as déjà fait des dessins pour des tatouages : as-tu des photos du résultat ? J’adore voir tes œuvres, et j’ai hâte de te voir créer. En attendant ce moment, je t’imagine dans mes bras, contre mon cœur derrière les tatouages, et je t’embrasse tendrement. Я тебя люблю Юлия,

Твой Géraud

* кошка хочет мне помогать писать твою имю