9 Mars 2021

В НьюЙорке, в 9 марта, 2021 г.

Моя дорогая Юлия,

« Tu viens, on va jouer au foot! » : telle est la phrase typique par laquelle s’interpellaient les garçons quand j’étais petit: aujourd’hui je vais te parler de mes copains d’enfance, connus à l’école ou voisins. Une petite note de sociologie pour commencer : même si cela ne se voit pas dans les noms de mes amis, les prénoms à la mode aux alentours de ma naissance étaient David, Stéphane, Christophe, Nicolas. Le résultat vingt ans plus tard ? En classe préparatoire juste après le lycée, nous étions seulement vingt élèves dont dix-huit garçons, et parmi ceux-la, quatre Christophe(!), deux David, deux Olivier !

Mon plus ancien copain, du moins celui dont je me souviens, c’est Emmanuel. Je me souviens qu’il était brun, un peu gros, plus grand que moi : ça c’était très commun car en France les élèves sont distribués en fonction de leur année de naissance : étant né en fin d’année, certains de mes camarades avaient presque un an de plus que moi… quand j’en ai revu parfois plus tard, ce qui m’a étonné c’est qu’ils me paraissaient tous petits ! J’ai continue à grandir bien après eux ! Pour en revenir à Emmanuel, ma mère m’a un jour dit « oh il passait son temps à te taper ! » C’était en maternelle et nous avions quatre ans, et je ne me souviens pas du tout de cela. Je me souviens par contre qu’un jour nous courrions dans la cour de recréation, en été, avec un pneu. Le pneu m’a fait tomber, mais je me suis relevé. Emmanuel a pleuré : « c’est pas de ma faute ! » « Mais non, je le sais, ça n’est rien ! » « Ton genou ! » J’ai alors vu le sang sur mon genou, à cause du gravillon qui y était entré, et qui m’a laissé une cicatrice qui mit une tache en forme de rectangle blanc sur mon genou droit. En voyant le gravillon, la oui, j’ai du pleurer.

Nous avons déménagé hors du HLM (« habitat à loyer modéré » construits pour les mineurs et les ouvriers) où nous habitions, pour une maison où mes parents vivent encore. En conséquence je changeais d’école en « CE1 » (Cours Élémentaire de Première année) : j’avais sept ans environ. L’école avait de bons professeurs, de meilleurs élèves, et c’est là que je me fis mon premier ami : Julien. Je l’avais déjà vu car il vivait près de ma grand-mère paternelle (« Mémé Suzy »). Nous devînmes inséparables, et pour la première fois, je fus invite à la fête d’anniversaire d’un camarade de classe ! Étant très timide, c’était quelque

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chose de complètement nouveau pour moi ! Et encore plus nouveau, ma mère l’invita aussi pour mon propre anniversaire ! Ce qui nous sépara ce fut l’entrée au collège, à 11 ans, car nous étions dans des classes différentes pendant la première année. La deuxième nous fumes dans la même classe (vint-cinq élèves) à nouveau mais nous avions changé (peut-être à cause de l’approche de la puberté?) et bien que dans le même groupe d’amis, nous avions déjà commence à nous éloigner. Ce qui termina notre amitié, ce fut une journée sur un lac, à faire du bateau. Nous partagions un canoë, et il se révéla être pleurnicheur et fainéant : je dus tout faire : ramer, manœuvrer, pour ne pas nous laisser emporter par le courant. Après cela, je lui en voulus beaucoup, et nous arrêtâmes plus ou moins de nous parler. Je sais seulement de lui qu’il est devenu instituteur, comme sa maman.

Je passe maintenant aux amis de mes étés. Je t’ai parlé des vacances en famille en Ardèche. Elles furent remplacées par une version moins coûteuse : les vacances dans la maison de famille, au village La Tavernole, à trente kilomètres d’Alès. La maison fut bâtie du temps de mon arrière grand-père, et appartient désormais à mes parents. Tu vois Юлия, c’est un peu notre даша ! En été, il y avait un groupe de petits estivants menés par une fille plus âgée, Nadège. C’était elle qui commandait à tous : les jeux, les ballades en forêt… ses parents et elle venaient de Marseille, dans une maison qu’ils avaient achetée pour leurs étés et où ils déménagèrent plus tard. Je me souviens de ces vacances : les parties de pétanque des pères le soir, les discussions, nous enfants qui regardions les vers luisants. Les jeux entre les châtaigniers et les pins, dont on se régalait des graines des pommes de pigne. Les arbres fruitiers abandonnés ici et la et qui nous offraient des noisettes, des figues et des pommes. Le sanglier énorme apprivoisé et couché dans son enclos. Plus tard un poney près du ruisseau minuscule où vivaient seulement des sangsues. La fête des mineurs du village d’à cote, l’Alcazar… c’était une belle tradition : un spectacle organisé par les mineurs puis leurs enfants, où ils se déguisaient pour chanter, danser, faire des blagues : toute une autre époque sans doute disparue : voilà cinquante ans que les mines ont fermé et les mineurs sont partis… mais les faire revivre en écrivant ces mots ramène à ma mémoire la chanson de Pierre Bachelet qui amenait des larmes aux yeux de toutes les anciennes « gueules noires » (le surnom des mineurs) et leurs familles : « Au nord, c’étaient les corons [maisons des mineurs], les hommes, des mineurs de fond… » J’ai revu Nadège deux fois après des années : quand j’avais douze ans environ, et où elle en avait quinze. Un des garçons de l’ancien groupe me dit alors à l’oreille : « tu as vu ? Nadège ! Elle a des seins ! » Ce que je vis surtout, c’est qu’elle nous considérait comme des enfants et parla seulement aux adultes. Il va de soi qu’avec

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ses trois ans de plus, quand nous étions enfants, elle me faisait l’effet d’une géante ! Mais voilà, lors de notre dernière rencontre, j’avais vingt ans, et ma taille actuelle. J’entendis ma mère disant : « Oh que tu as grandi Nadège, Géraud est là aussi ! » et je me retrouve face à une jeune femme dont les traits me sont familiers mais… que je dépasse de deux têtes ! Nous en avons ri, et en tout cas je garde de très bons souvenirs de ces vacances d’été. Une dernière anecdote sur ce sujet : un jour je découvris une vieille pièce abandonnée, attenante à la maison voisine : une vraie cave au trésor remplie de vieux outils, de vieilles bouteilles, avec comme une sorte de séparation avec un grillage. Je m’imaginais déjà les heures que nous pouvions passer là avec la petite bande, quand mon arrière grand-mère, Mamée Hélène, qui était de visite, me dit : « Géraud, que faisais-tu dans l’ancien enclos des cochons ? » Quel dommage, c’était pourtant un endroit de rêve pour jouer !

Retournons maintenant au collège, en première année. De l’école primaire, nous étions seulement deux : Nicolas Petit et moi, nous nous lièrent donc d’amitié, et je découvris un garçon charmant, avec qui je jouais aux jeux vidéos et aux Lego. Il avait une piscine, et sa mère venait me chercher en Porsche ! Fait amusant : malgré leur nom, dans sa famille ils étaient tous très grands : 1m70 à 11 ans… les gens le prenaient souvent pour un adulte ! Nous avions aussi parfois un camarade de classe appelé Renaud qui nous rejoignait : c’est lui qui m’a offert mon premier stylo-plume, pour la Saint-Géraud ! A cet age, c’est le moment où certains commencent à organiser des « booms » (les fêtes d’adolescents), mais… je n’y ai jamais été invite, et je ne suis pas sûr que mes parents auraient accepté que j’y aille ! En tout cas, de cette première année de collège, j’ai gardé deux amis : nous nous parlons toujours via les réseaux sociaux ! Hélas les cartes furent redistribuées en deuxième année, à cause des options : informatique pour moi ! Je me fis rapidement un groupe d’amis, notamment avec un garçon nomme Damien : comme moi il était très bavard et faisait beaucoup de plaisanteries. On a découvert au bout de quelque temps que nous étions presque voisins : juste un champ et un verger a traverser ! Nous nous voyions alors très souvent, et c’est grâce à lui que j’ai vu beaucoup de comédies Américaines des années 80 comme « Retour vers le futur ». La dernière fois où je suis allé à Alès, on a essayé de se voir mais hélas il partait en congés juste à ce moment ! Un fait étrange : lui et moi étions médiocres en sport, sauf les courses sur les longues distances. Et j’ai réalisé que la plupart de mes très bons amis ensuite : au lycée, en école d’ingénieurs, et même au travail avaient/ont cette caractéristique aussi ! Ce dont je suis très heureux pour mes amis de collège, c’est qu’ils ont de bons emplois, tout en étant restés à Alès (comme je te l’écrivais une autre fois, l’économie là-bas est très mauvaise). Nicolas a repris le magasin de son père, tandis

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que Damien est devenu patron de la société de marbrerie que son ancêtre créât en… 1850 ! J’avais aussi d’autres amis au collège, via le club d’échecs, le club de ping-pong, mais nous n’étions pas aussi proches qu’avec ceux que je t’ai décrits.

Enfin vint le lycée, qui pour moi constitua une rupture car je devins moins timide. En seconde (la première année) nous étions un petit groupe d’amis : Raphaël avec la mère envahissante (quand nous étudions en groupe chez moi, ma mère lui parlait pour l’empêcher de venir nous « aider » à faire les devoirs!) ; Damien le blagueur très bon élève ; Samuel le fils de pasteur protestant ( à son anniversaire son père fit la prière avant de manger, et moi j’avais les yeux écarquillés!) Et surtout, Sylvère. Il avait aussi un aquarium, il jouait aux échecs, il collectionnait les disques. Alors nous nous rencontrions au marché aux puces pour acheter des vinyles, et pendant l’été pour jouer aux échecs. Il avait étudié le Russe car, comme c’était courant alors, ses parents étaient communistes : il avait même fait un voyage en URSS ! Lui et ses parents étaient d’une gentillesse extrême. Après notre sortie du lycée, nous nous rencontrions en été : il avait un groupe d’amis et ils m’invitaient avec eux à la patinoire de Nîmes ! L’une des filles du groupe a été la professeur de Français de ma sœur Clémence ! Nous ne nous sommes plus vus après mon départ pour Brest, mais j’ai de ses nouvelles : il est infirmier, dans le Gard toujours. Et en parlant d’amis qui deviennent profs, en Septembre ma nièce Eva me dit : « tonton, un M. Teyssonniere m’a demande si j’étais de la famille de Géraud Krawezik ». « Oh Thierry ! On prenait le bus ensemble ! Passe-lui le bonjour ! » « C’est l’intendant au collège maintenant ! » A l’époque, c’était mon collègue de classe qui faisait des arts martiaux ! Mais quelle joie d’avoir des nouvelles d’anciens camarades !

Моя дорогая Юлия, voilà donc quelques bons souvenirs d’amitié dans l’enfance, mais qui ont eu des suites, via la façon dont elles ont pu influencer ma personnalité. La chance que nous avons maintenant c’est qu’avec les méthodes électroniques on peut rester en contact. Mais c’est aussi une malchance car les conversations ne sont plus aussi riches que lorsqu’on écrit une lettre. J’espère que tu as encore des contacts épistolaires avec tes amis d’enfance, car ces mots écrits sur du papier sont alors comme gravés dans nos souvenirs.

Et en attendant de t’envoyer d’autres souvenirs, d’autres sentiments, d’autres pensées, je t’envoie maintenant des baisers mon amour. Я тебя люблю Юлия !

Твой, Géraud