8 septembre 2021

В Нью-Йорке, в 8 сентября 2021 г.

Моя дорогая Юлия,

Dans un de ses romans. Louis-Ferdinand Céline raconte que parfois, quand il rencontrait dans la rue des gens qu’il croisait souvent, voire tous les jours, il était tenté de s’arrêter, de les attraper par les épaules, et de leur dire qui il était, car ces inconnus que l’on croise régulièrement, ce sont eux qui forment notre réalité.

Я не знаю, если я хочу сказать тебе уж этот, потому что, фильм я смотрел в войскресения сказала об этом сюжете. Но сегодня, я написаю тебе о людей, котореи я часто видел, без знать их.

On va commencer lorsque je vivais à Alès. J’étais en classe de 4eme, au collège donc, lorsque je vis pour la première fois un exemple de jalousie féminine. En effet, à la rentrée scolaire, arriva en 6eme une jeune fille très jolie, ressemblant à une poupée, blonde aux yeux bleus (ce qui est rare dans le sud de la France). Ceux qui la remarquèrent tout d’abord, ce ne furent pas les garçons, mais les filles, et c’est Elsa, elle-même blonde aux yeux bleus, que j’entendis dire « elle se prend pour qui cette pétasse ? » Deux ans plus tard j’étais au lycée, et quand je prenais le bus en centre-ville, alors que notre chauffeur attendait l’heure du départ, je la vis attendant le sien. A ma grande surprise, elle me sourit un jour, une sorte de complicité d’anciens du même collège. Je ne connaissais d’elle que son nom de famille. Mais dès lors, ce devint entre nous une tradition, ce sourire échangé à travers une vitre de bus, le mercredi à midi. Nous ne nous sommes jamais parlés, et je n’avais pas repensé à cela depuis presque trente ans : le cerveau aime à jouer des tours avec notre mémoire !

A Brest je pus voir à quel point on devrait parfois parler aux gens que l’on croise tous les jours sans les connaître : nous étions environ cent vingt par promotion (année), mais je n’en connaissais qu’un quart. Les derniers jours lors de la remise des diplômes, je me retrouvais par hasard avec des étudiants que je ne connaissais que de vue. Et là, alors que nous parlions musique, un des garçons parla de Zappa, Captain Beefheart : autant de musiciens que je pensais être seul à apprécier… et dire qu’en trois années, nous ne nous étions jamais parlés !

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Durant ces mêmes années, je vécus à Oslo pendant six mois, prenant toujours le même bus le matin pour aller au bureau. Il passait près d’un lycée, alors il y avait souvent des élèves et quelques professeurs dedans. A mon arrêt, il y avait une professeur. Blonde aux cheveux courts, jeune, mais surtout : très très grande ! C’était la première fois où, à l’age adulte, je me sentis petit à côté d’une femme. A vrai dire, elle correspondait bien au cliché de la femme viking, et je pensais toujours qu’elle allait sortir une hache de son sac, la lancer dans ma direction, pour abattre soudainement un ours apparu derrière moi ! Mais ça n’est jamais arrivé. Un jour je lui parlais, pour lui demander où se trouvait une salle de concert (mes collègues n’ayant pu me renseigner), et à ma grande surprise… la guerrière viking avait une voix fluette !

A Champaign je vivais près d’un lac (plutôt un étang), dont un coin était occupé par un banc, sous un pin parasol. Et c’est là que très souvent, je voyais un homme fumer. Il devait habiter un des logements communautaires tout proches, et venait là pour être seul, au calme. C’était un homme de 60 ans environ, noir, toujours bien habillé, avec un chapeau, et il fumait des cigares. Souvent je voulais aller lui demander de prendre son portrait, en noir et blanc. Pour moi il ressemblait à un musicien de jazz qui se serait perdu en plein milieu des champs de maïs de l’Illinois : il y est encore dans ma mémoire.

Calgary fut aussi un moment « raté ». Mon bureau se trouvait près d’un centre commercial, où il y avait un Starbucks. J’y allais très souvent avec un collègue allemand. Là, se trouvait une jeune fille souriante, et souvent je me suis dit : « je devrais lui proposer de faire son portrait photo ». En effet il y avait ce que je cherche dans les gens que je photographie chez elle : de la personnalité. Je n’ai jamais demandé. Mais à quelques semaines de mon départ vers New York, on me présenta un couple d’artistes photographes dans un concert punk. Le lendemain, par curiosité, je regardais leur travail. Et la première chose que je vis, ce fut le portrait de la fille du Starbucks ! Je lui racontais ça le lundi suivant, et ça la fit rire : quel dommage : il est rare que je trouve à photographier quelqu’un dont le visage « me parle ».

Je vais digresser un instant sur ce sujet d’ailleurs : il y eut quelques moments dans ma vie où j’aurais aimé avoir un appareil photo sur moi, et, pouvant vaincre ma timidité, prendre la photo de quelqu’un. Je me souviens notamment d’un homme Indien, à Paris, gare de Lyon. Il était vêtu de lin blanc, et c’était comme si toute sa personne rayonnait ! Mais hélas les peu de fois où j’ai eu le courage de prendre la photo, je l’ai fait dans la précipitation, en tremblant, et le résultat a été soit raté, soit médiocre : je crois que je suis meilleur quand je demande à quelqu’un de poser pour moi, que l’on se ballade en discutant, et qu’en même temps, clic-clac kodak, je prends des images spontanées.

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Je dis toujours que les différents quartiers des grandes villes ressemblent souvent à des petits villages, comme dans leur passé. New York ne déroge pas à la règle, et c’est souvent que je croise des visages connus. Comme par exemple le vendeur de vêtements punks que j’avais vu en 2004, le retraité de la poste. Lui je voudrais faire son portrait : on dirait qu’il est sorti d’un film de blaxsploitation des années 70 ! Il y a aussi celui que tout le monde surnomme le He-Man de la 23eme rue, torse nu même en hiver pour montrer ses muscles !

Mais parfois c’est en chemin que l’on rencontre des personnes familières : pendant deux ans, tous les matins vers 9h, je suivais la 23eme rue d’Est en Ouest pour aller prendre le train me menant à Jersey City. Et tous les matins, à la même heure, il y avait une femme d’une cinquantaine d’années, l’air toujours très pressée, qui faisait le chemin opposé, du même côté de la rue. Alors, amusés tous les deux de la situation, on a finit par se saluer de la tête quand on se croisait. Quand j’ai changé de travail, il va de soi que mon chemin a changé aussi, et je ne l’ai plus revue comme avant. Mais des années plus tard, à ma pause de midi, par hasard dans la rue, on s’est croisés, on s’est souri, et… on a même dit « bonjour ! » C’est la seule fois où j’ai fait ce que Céline appellerait révéler son existence !

Pourtant j’ai essayé une autre fois, à Jersey City justement. Mon bureau allant déménager loin de là, je décidais de dire au revoir à tous les endroits où j’aimais aller déjeuner. En fait il y en avait trois. Au restaurant brésilien, les patrons étaient sortis ce jour-là, et l’employée me regarda comme un extra-terrestre quand je lui demandai de leur dire au revoir de la part du Français. Au restaurant Puerto-Ricain où je prenais des empanadas, le vieux couple me dit : « oh, au revoir ! » mais quand j’ouvris la porte : « à la semaine prochaine ! » Et enfin au restaurant Égyptien qui sert les meilleurs shawarmas que j’ai jamais goûtés, il ne me comprirent pas ! Ah qu’il est donc difficile d’arriver à saisir les témoins quotidiens de son existence !

Voilà моя дорогая Юлия, quelques souvenirs de personnes de ma vie quotidienne, de sourires passés, et de bonjours fugaces.

Je t’envoie des baisers par la fenêtre ouverte sur la nuit New York-aise, et j’entends le bruissement de leurs ailes qui les emportent vers tes lèvres. Я тебя люблю,

Твой Géraud