В Нью-Йорке, в 10 ноября 2021 г.
Моя дорогая Юлия,
Я помню, что когда был маленький, … Это название книги, и это вещи я хочу написать тебе сегодня: воспоминания… ces souvenirs sont des choses un peu au hasard, qui me reviennent dans une odeur sentie, une image aperçue furtivement, un son entendu à un coin de rue. Souvent on se demande si ce sont de vrais souvenirs, ou seulement la mémoire d’un vieux rêve. Mais de nos jours, c’est facile à vérifier : internet tue les mystères et interrogations !
Mon premier souvenir, c’est une barre de chocolat, dans du papier aluminium teinté en orange : le chocolat Malakoff « depuis 1855 ». Il s’agissait d’une partie du goûter que la mairie d’Alès offrait aux écoliers pour Noël, le reste étant des mandarines. Déjà de mon temps cela paraissait dépassé, mais quand ma mère était enfant, les fruits tropicaux étaient trop chers pour ses parents, alors c’était un cadeau très apprécié par les enfants des mineurs de charbon : une orange au milieu de la poussière noire, c’est comme une lueur dans la nuit.
Mon deuxième souvenir est aussi lié à l’école : il s’agit des rentrées scolaires en classes de primaire. Alors on nous distribuait des livres bien sûr, mais aussi les consommables : cahiers à grands carreaux (avec des lignes pour bien former les lettres), stylos Bic bleus, crayon à papier, et bien sur la gomme bicolore : côté rose pour le crayon, bleu pour le stylo. A dire vrai, je crois que ces stylos étaient ensorcelés, car je ne me souviens pas d’en avoir jamais fini un seul, comme si leur encre était magique !
Le troisième souvenir est lié à la même période, mais quelques années plus tard. En effet, une fois arrivé au collège, on nous demandait de recouvrir les livres, qui nous sont prêtés à l’année, avec du plastique transparent. En passant : pourquoi la faire enlever en fin d’année cette protection, si elle est toujours en bon état ? Je n’ai jamais compris ce gaspillage ! Quoiqu’il en soit, étant donné la tendance qu’avait mon père à bougonner des qu’il s’agissait de relier les livres, j’appris très tôt à le faire moi-même, et, plus tard, je reliais aussi ceux de ma sœur Justine. A vrai dire, j’appréciais tellement de mettre les mains dans ces rouleaux rouges, bleus et verts, que je recouvris aussi nos livres d’enfants !
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Et parlant de livres pour enfants, je dois te parler d’un magazine : « Pif Gadget ». Il paraissait chaque semaine, et contenait des bandes dessinées, des mini-reportages politiquement à gauche (c’était un magazine ouvertement communiste), et… le gadget : un jouet à monter soi-même. Parmi les plus mémorables : la machine a faire des œufs durs carres ! Mais ce qui m’a marque surtout, c’est que c’était ma mamée Renée qui, tous les mercredis, en venant nous rendre visite en bus, me l’achetait. Alors pour moi, les histoires comiques du chien Pif et du chat Hercule, restent indissociées de sa silhouette, marchant le long de la Rocade, cheveux argentes, avec sa blouse et son sac/panier en osier : le bonheur du mercredi après-midi de mon enfance, et un moment du passé que je voudrais revivre encore et toujours.
Je vais maintenant te révéler quelque chose de gênant sur ma mémoire : elle est très étrange et inutile. Dans le sens où j’ai une mauvaise mémoire courte, mais une très bonne mémoire longue. Alors ne t’offusque pas si parfois je ne me souviens pas d’une histoire que tu m’as racontée il y a quelques semaines : ça n’est pas de l’inattention, et dans dix ans je m’en souviendrai : souvent je rappelle à mes amis des histoires qu’ils m’ont racontées… puis oubliées ! Je dis souvent que ma mémoire est inutile car elle me fait garder des souvenirs qui ne me servent pas. Par exemple le fait que les petites poupées que les Bulgares offrent au printemps sont des мартеница. Mais à l’extrême, ce sont des mémoires réellement inutiles (et que je maintiens en vie en les faisant revenir parfois). Ainsi, quand je vivais à София, il y eut des rumeurs sur le fait que quelqu’un avait gagné le gain maximum au « Qui veut gagner des millions ? » local. Son nom circula : Асен Ангелов : c’était en 2002, dans un autre pays, dans une émission de télévision que je ne regarde pas, et dont peu doivent encore se souvenir : on a le cerveau farceur !
Une dernière chose toutefois : si un jour tu es en Norvège, que tu as faim, et que quelqu’un te demande : « Er du sulten ? » il faut répondre : « Ja, kjempe sulten ! » (« As-tu faim ? / Oui, je meurs de faim ! ») Remercions le Géraud de 2000 pour ce précieux renseignement et cette leçon de Norvégien !
Моя дорогая Юлия, j’espère que mes petites histoires t’auront divertie, au-delà des importants renseignements apportés. Je t’envoie des baisers, toi dont chaque sourire crée une marque dans mon cœur. Я тебя люблю,
Твой Géraud